Christian Rioux à Barcelon | Le Devoir
Pendant trente ans, les Catalans ont eu les yeux tournés vers le Québec. Il semble que ce soit l’inverse aujourd’hui. À l’occasion du référendum sur l’indépendance de la Catalogne qui doit se tenir dimanche, et malgré l’incertitude qui pèse toujours sur sa tenue, de nombreux Québécois se bousculent ces jours-ci dans la capitale catalane.
À 48 heures du jour J, le député péquiste Stéphane Bergeron, représentant personnel du chef de l’opposition, Jean-François Lisée, est déjà à Barcelone. Il arrive directement du Kurdistan irakien, où la population a voté à 92 % pour l’indépendance. « Comme quoi l’indépendance n’est pas une idée du siècle dernier, comme le prétend Philippe Couillard », dit-il.
Alors que 16 000 étudiants ont défilé mercredi à Barcelone pour réclamer le droit de voter, on attendait aussi la chef du Bloc québécois, Martine Ouellette, et la porte-parole de Québec solidaire Manon Massé. Des rencontres sont déjà prévues avec plusieurs responsables politiques, notamment la très respectée présidente du Parlement catalan, Carme Forcadell i Lluís, fondatrice de la plateforme pour la défense de la langue catalane. Au moment d’écrire ces lignes, une rencontre avec le président catalan, Carles Puigdemont, n’était pas exclue.
À Barcelone, certains affirmaient que le chef du Parti québécois, Jean-François Lisée, pourrait lui-même faire le déplacement. Une rumeur aussitôt démentie par le principal intéressé au Devoir. Dimanche, Stéphane Bergeron visitera des bureaux de scrutin à Girone, un bastion nationaliste où Madrid aura certainement beaucoup plus de difficultés qu’à Barcelone à empêcher la population de voter.
Pas que des élus
Mais le référendum catalan n’intéresse pas que des élus. Des universitaires comme Jean-Rémi Carbonneau (Université du Québec à Montréal) et le constitutionnaliste Daniel Turp (Université de Montréal) n’ont pas voulu manquer l’événement. Le président de la Société Saint-Jean-Baptiste, Maxime Laporte, est aussi sur place, ainsi que l’ancienne présidente de la CSN Claudette Carbonneau. Une trentaine de Québécois de tous les horizons sont aussi arrivés depuis plusieurs jours sous la bannière du Réseau Québec-Monde, qui organise des séjours alliant tourisme et échanges politiques. Parmi eux, Jérémi Lepage, 20 ans, est venu avec quatre autres jeunes péquistes de la région de l’Estrie.
« Je n’étais pas né en 1995, au moment du référendum, dit-il. Mes parents m’en ont parlé. J’ai la nostalgie de cette époque où les Québécois se tenaient debout. Je ne voulais rater ce référendum pour rien au monde. Dimanche, c’est une occasion unique pour moi de vivre enfin un tel événement. » Depuis cinq jours, Jérémi a été frappé par la fierté qu’expriment les Catalans. « Ils ont été capables de ne pas se diviser et de se présenter unis. » Il est aussi surpris par la place qu’occupent les organisations nationalistes issues de la société civile. En Catalogne, la plupart des grandes manifestations ont été organisées par des organisations indépendantes des partis, comme Omnium Cultural et l’Assemblée nationale catalane (ANC) [qui n’a rien à voir avec le Parlement].
« J’aimerais qu’on tire des leçons de ce qui se passe ici, dit Jérémi. Au Québec, je sens que, comparativement aux Catalans, on est gênés de s’affirmer, on a peur de se prononcer et de prendre position. » Au cégep de Sherbrooke où il étudie la comptabilité, il passe pour un original. « J’ai des amis et des gens de ma famille qui ont même essayé de me dissuader de venir. Aujourd’hui, ce n’est pas bien vu de s’intéresser à la politique. Il y a beaucoup de cynisme. On a déjà connu des périodes plus fastes. »
Dimanche, que le référendum ait lieu ou pas, Jérémi sera avec son drapeau québécois parmi les centaines de milliers de personnes qui manifesteront sur la grande place de la Catalogne. En attendant de faire pareil un jour chez lui, dit-il.