Texte collectif* | Le Devoir
Après plus d’un an de consultations, nous sommes déçus que le ministre de la Culture et des Communications, Luc Fortin, adopte une réglementation qui, selon nous, est non seulement floue, mais risque de contribuer à l’affaiblissement du français.
Le règlement évite, volontairement, la francisation des entreprises affichant une marque de commerce dans une autre langue que le français et opte plutôt pour un timide appel à assortir les marques d’une « présence suffisante » de la langue officielle. Il suffit d’un simple slogan en caractères plus petits sur les façades extérieures pour contenter le seul État francophone d’Amérique.
Privilégier uniquement une « présence suffisante du français » ouvre toute grande la porte à un accroc, voire un recul, par rapport au principe de la nette prédominance du français en matière d’affichage commercial, formulé par la Cour suprême du Canada en 1988. Comment ce vague concept peut-il être appliqué et défendu uniformément et adéquatement par l’Office québécois de la langue française, surtout dans un contexte où il doit composer avec de multiples coupes budgétaires ? En vérité, avec la réglementation proposée en matière de langue d’affichage commerciale, le brouillard s’épaissit, les règles deviennent plus complexes et la population est moins à même de juger du respect de la Charte de la langue française au quotidien et, surtout, de constater une présence prédominante du français dans le paysage québécois. Cela soulève la question sur la véritable stratégie gouvernementale en matière de francisation des entreprises.
Du français partout, parce qu’on est en 2016 !
Pour améliorer la situation, le ministre aurait simplement pu adopter un règlement qui oblige l’ajout d’un générique français à la marque de commerce à l’intérieur des magasins, de même que sur les supports temporaires et les biens meubles. Ainsi, pourquoi un générique français n’est-il pas imposé à une marque de commerce anglaise sur tous les supports publicitaires et les communications commerciales ? Citons en exemple les sites Internet, les uniformes des employées et employés, les en-têtes dans les correspondances officielles, les façades des véhicules de transport, les dépliants promotionnels, les publicités Web et télé, etc. Une telle décision aurait pourtant été cohérente avec le droit fondamental des travailleuses et travailleurs du Québec d’évoluer dans un environnement en français partout sur le territoire.
L’occasion aurait également été bonne de réviser d’autres aspects moins connus de la réglementation. En particulier, le gouvernement aurait pu mettre fin à la règle de « l’équivalence minimale du français par rapport à l’anglais » pour tout ce qui concerne les musées, les jardins botaniques, la santé et la sécurité publiques, etc. Dans les faits, cette règle se traduit par un bilinguisme quasi systématique. Mais non, aucun de ces enjeux n’est abordé dans la modification réglementaire du ministre Fortin…
Changer la loi plutôt qu’un simple règlement
Rappelons que ces modifications apportées par le gouvernement du Québec interviennent à la suite de l’affaire Québec contre Magasins Best Buy ltée, débattue ces dernières années devant la Cour supérieure puis, finalement, devant la Cour d’appel en 2015. À ce moment, le gouvernement du Québec s’était tout simplement abstenu de porter la cause jusqu’en Cour suprême du Canada.
Aujourd’hui, l’État québécois se trouve à intégrer dans sa propre réglementation les paramètres de son plus récent échec judiciaire sur le front linguistique, alors qu’il jouissait pourtant de toute la latitude nécessaire pour infirmer législativement les prescriptions de la Cour d’appel et réaffirmer de manière concrète et puissante le statut du français dans l’espace public.
En définitive, dans un contexte évident de mondialisation et d’anglicisation, et sachant qu’il est du devoir de tout élu québécois de défendre bec et ongles la seule langue officielle et commune du Québec, le français, pourquoi choisir d’en faire si peu ?
* Ont signé ce texte :
Maxime Laporte, président général de la SSJB ;
Jacques Létourneau, président de la CSN ;
Daniel Boyer, président de la FTQ ;
Louise Chabot, présidente de la CSQ ;
Christian Daigle, président du SFPQ ;
Régine Laurent, présidente de la FIQ ;
Sylvain Mallette, président de la FAE ;
Rose Crevier-Dagenais, présidente de la FECQ ;
Sophie Prégent, présidente de l’UDA ;
Martine Desjardins, présidente du MNQ ;
Pierre Graveline, directeur général de la Fondation Lionel-Groulx ;
Éric Bouchard, directeur général du MQF.