Mémoire de Gilbert Paquette (IPSO) aux États généraux

Pour réamorcer la démarche

vers l’indépendance

Gilbert Paquette

Président des Intellectuels pour la souveraineté et fondateur du réseau Cap sur l’indépendance.

 

Nous sommes, encore une fois dans une impasse, malgré la courte victoire du Parti québécois, incapables de faire avancer notre option. Un choix s’offre à nous : accepter, encore une fois, la mise au rencart temporaire de l’Option pour se concentrer sur la bonne gouvernance provinciale ou sortir de ce terrain miné dans lequel nous nous sommes enfermés.  J’opte évidemment pour changer de terrain.

C’est aussi le but, tel que je le comprends de ces États généraux souverainistes que les IPSO ont souhaité peu après la défaite de 2007. Remettre l’indépendance au cœur du débat public.

L’origine de l’impasse

Pour sortir de ce terrain miné où nous sommes, revenons un instant aux sources, au moment où majoritairement, les souverainistes ont changé de Cap, optant pour ne plus jamais mener d’élection sur le thème de la souveraineté.

En 1972, les ténors du Parti québécois, René Lévesque, Jacques Parizeau et Jacques-Yvan Morin en tête, publiaient un manifeste affirmant clairement qu’un vote pour le PQ serait un vote pour la souveraineté. Une fois au pouvoir on engagerait immédiatement le processus d’accession à l’indépendance.  Cette démarche claire et déterminée devait mener le PQ au statut d’opposition officielle dès 1973. À ce moment, le Parti québécois comptait alors plus de 200 000 membres. Il était un parti politique solidement organisé, prêt à gouverner comme rarement un parti politique au Québec ne l’avait été. En même temps, il était aussi un mouvement d’émancipation nationale. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, il faut tout de même recréer un vase mouvement citoyen pour notre émancipation nationale.

Après le congrès de 1974 et avant la prise du pouvoir en 1976 s’est produit un virage stratégique, un changement de cap, en fait, un véritable détournement de programme. Le référendum « si nécessaire » une fois la démarche engagée par l’élection, prévue dans le programme de 1974, devenait tout à coup une étape obligée avant d’entreprendre toute démarche vers la souveraineté. L’objectif de ce changement de cap était évident. Comme maintenant, comme à toutes les élections depuis, il s’agissait de dissocier lors des élections un vote pour le Parti d’un vote pour le pays. Comme l’a souligné lui-même Claude Morin dans un de ses livres, « L’analyse méticuleuse des sondages du Parti indiquait clairement qu’une campagne sur le thème du vrai gouvernement avait toutes les chances de séduire les Québécois.»

À l’inverse, certains d’entre nous pensions que le référendum obligatoire détournerait le débat électoral de la souveraineté au profit d’une compétition entre les partis dans le cadre du régime que nous voulions remplacer. Pendant l’élection, on discuterait de questions provinciales avec des moyens de provinces. Une fois élu, les énergies du gouvernement seraient mobilisées par ses responsabilités provinciales plutôt que par la promotion de la souveraineté.

N’est-ce pas ce qui est arrivé à chaque élection depuis 1976, sauf à celle de 1994? Dans un contexte de gouvernement minoritaire comme maintenant, cela n’est-ce pas encore plus évident?

Miser sur une démarche citoyenne

Il faut changer de terrain, même si la conjoncture actuelle est très différente de celle de celle de la fin des années 70. Nous ne sortons pas de la révolution tranquille mais de trente années de néolibéralisme et de dénationalisation qui a laissé l’État du Québec démuni et assiégé de toutes parts : assiégé de l’intérieur par la vente d’actifs publics au privé (comme à l’île d’Anticosti),  par la corruption autour des contrats gouvernementaux, et par l’absence de projets mobilisateurs. En même temps, l’État du Québec est assiégé de l’extérieur par l’emprise de plus en plus forte d’un gouvernement canadien aux antipodes des valeurs québécoises et un contexte international créant toujours moins de démocratie et toujours plus de pauvreté et de déséquilibres écologiques.

Devant cette situation, trop de citoyens se considèrent impuissants, défaitistes ou cyniques, convaincus qu’ils n’ont aucun impact sur leur société. Mais certains, une minorité encore – mais les minorités changement le monde –  s’engagent à nouveau dans des luttes citoyennes et se politisent : lutte pour la démocratie politique et économique (Occupons Montréal), lutte pour l’accès à l’Éducation, lutte pour le Québec français, lutte pour le contrôle de nos richesses naturelles et le développement durable, lutte pour une autre mondialisation.

Là réside l’espoir! Chacune de ces mobilisations contribue à notre prise en charge collective. C’est une lutte à la démission, au défaitisme, au cynisme envers le politique. Ces luttes citoyennes, des jeunes en particulier, préparent l’indépendance, mènent à l’indépendance appellent l’indépendance. Les mobilisations dépassent les clivages partisans et font appel aux valeurs profondes de notre peuple et à son désir de justice, de responsabilité et de liberté, à notre solidarité nationale et au contrôle de notre État national. De nouveaux dialogues et de nouvelles solidarités se nouent.

Chacune de ces mobilisations prépare l’indépendance… mais chacune nécessite aussi l’indépendance pour être menée à terme. Ces mouvements citoyens doivent arriver à se concerter, à converger avec une prochaine phase d’États généraux , dans des États généraux d’émancipation nationale, en collaboration avec les membres des partis politiques, mais au-delà de l’action partisane.

La convergence transpartisane

Sur le strict plan électoral, il est vrai que l’addition des votes des partis souverainistes aurait permis au PQ d’obtenir 21 circonscriptions de plus. Même si la situation serait plus favorable que maintenant, rien ne garanti qu’un gouvernement majoritaire souverainiste serait plus efficace que par le passé pour progresser vers l’indépendance. Peut-être la multiplicité des partis souverainiste est-elle maintenant nécessaire pour faire le plein des souverainistes et arriver à construire cette indispensable majorité. Sur cette base il est urgent de trouver une méthode d’alliance électorale susceptible de contrer la division du vote.

Cette alliance doit se faire, non pas sur des mesures de gouvernance provinciale, mais sur la base d’une convergence transpartisane pour l’indépendance. Car au-delà de l’objectif de gagner une élection, c’est pour gagner un pays qu’il faut une alliance la plus large possible sur la question nationale. Il faut rejoindre non seulement les membres des partis souverainistes mais aussi tous ceux qui se définissent comme nationalistes, comme québécois d’abord ou exclusivement. On parle d’environ 2/3 des Québécois. Nous avons certes des adversaires électoraux, des divergences de vues entre les programmes de partis. Mais sur le plan de l’émancipation de la nation, nous ne devons pas avoir d’ennemis.

Il faut dépasser le jeu électoral partisan, lequel veut que pour se faire élire, pour gagner la confiance des citoyens, une ligne de parti soit nécessaire, ainsi que la démonisation des autres partis. L’indépendance du Québec ne pourra se faire que par des citoyens ayant une variété de valeurs, de points de vue et de projets. Il faut accepter cette diversité sans quoi l’indépendance n’est pas possible. Pour réussir, le projet d’un pays doit être porté par une variété de mouvements et de partis qui auraient du mal à cohabiter au sein d’un même parti politique. Penser que cela peut encore se faire au sein d’un seul parti arc-en-ciel comme aux débuts du Parti québécois est une dangereuse illusion !

Les États généraux souverainistes doivent servir à coaliser toutes les composantes du vaste mouvement souverainiste dans une optique non partisane, citoyenne comme ils ont commencé à le faire. Ouvrons la porte également aux nationalistes et aux autonomistes non-alignés, même à certains membres d’autres partis.

Concrétiser l’indépendance

Le document de consultation des États généraux souverainistes nous donne une vue d’ensemble de l’ampleur de la domination nationale que vit le Québec, dans tous les domaines de la vie collective : langue et culture, économie, développement durable, aménagement du territoire, lutte à pauvreté, même dans l’enseignement supérieur et la recherche. Ce sont aussi des domaines qui ont fait l’objet de mobilisations importantes, d’un véritable réveil collectif le printemps dernier.

Or, il y a quelques semaines, nous avons assisté à une campagne électorale surréaliste où ces questions ont été à peine traitées. Et lorsqu’elles l’ont, été,  on en a parlé uniquement dans le cadre de mesures que peut prendre une province respectueuse de la constitution canadienne, en ignorant presque totalement l’existence du gouvernement canadien et du carcan fédéral qui pèse sur le Québec.

Il faut non seulement contester les mesures spécifiques du gouvernement canadien, mais surtout mettre en évidence que nous ne reconnaissons pas à d’autres le droit d’intervenir dans nos affaires. Il faut traiter toutes les questions dans une perspective indépendantiste, identifier non seulement les blocages du régime, mais mettre en évidence tout ce qu’on pourrait faire de plus hors du régime canadien.  Partons des larges consensus qui existent au Québec sur un grand nombre de questions comme l’a suggéré Pauline Marois le soir de l’élection, partons des prises de positions unanimes de l’Assemblée Nationale, mettons en évidence la nécessité de l’indépendance sur chacune des questions de l’actualité. Un mouvement comme celui des États généraux peut plus facilement le faire qu’un parti soumis aux exigences du pouvoir.

Revoir la démarche vers l’indépendance

Au cours de la dernière campagne, nos adversaires ont parlé beaucoup de référendum et nous, presque pas de souveraineté, et surtout, sans faire le lien entre la souveraineté et les dossiers qui préoccupent la population. On s’est éloigné encore davantage d’une promotion efficace du contenu de la souveraineté. Les périodes électorales sont les moments où la discussion politique est la plus intense, ceux où les citoyens écoutent davantage, où ils participent le plus à l’échange des idées. Retarder la promotion question nationale au profit d’un référendum-au-moment-opportun, place le débat électoral sur un autre plan que celui du changement de statut politique et de l’avenir national du Québec, au point où cette question subit un enterrement médiatique constant sous une avalanche de question relativement secondaire.

Pour faire des élections un débat nationale, il faut congédier le référendisme. Il faut faire en sorte qu’à chaque élection, celle-ci se gagne ou se perd suite à un débat sur le contenu de la souveraineté et sur la solution de notre question nationale. Cela n’exclut pas que l’on discute d’autres questions urgentes à régler dans le cadre provincial. Cela  n’exclut pas non plus l’usage du référendum, à initiative gouvernementale ou populaire, à un moment donné du processus, par exemple pour adopter une constitution d’un Québec souverain.

À la prochaine élection, les  partis et candidats indépendantistes doivent inviter la population à rejeter cette constitution canadienne que le peuple du Québec n’a jamais approuvée. Il doivent du même souffle proposer une solution capable de briser l’impasse actuelle en remplaçant le référendum initiateur par une élection-déclenchement.  Cette élection permettrait d’orienter le débat vers une critique du régime canadien et non sur les positions positions de tel ou tel parti fédéral ou provincial. Elle situera l’élection sur la question central de notre agir collectif, sur la prise en charge de nos affaires sur tous les plans.  Elle créerait une alliance nationale pour l’avenir du Québec, laquelle pourrait s’accompagner d’ententes électorales dans un certain nombre de comté, en fonction de la conjoncture politique locale..

Imaginez que d’ici, pendant et après la prochaine élection, dans le cadre de ces États généraux indépendantistes, on remette l’indépendance au cœur du débat politique comme un objectif de liberté, de responsabilité et de dignité,  et aussi comme un moyen de mener à terme nos projets, de nous donner une démocratie plus pleine, d’assurer un Québec français, de contrôler nos richesses naturelles,  notre environnement et notre développement économique, d’avancer vers un Québec sans pauvreté, et de participer pleinement à la vie internationale sur toutes ces questions.

Imaginez que pour une fois, les citoyens sentent qu’il y a une lumière au bout du tunnel, un avenir, qu’il y a des candidats et des partis à l’élection qui se sont engagés à nous en donner les moyens en rapatriant nos budgets, nos compétences et nos traités internationaux. Supposons enfin que ces candidats, s’engagent, s’ils sont élus majoritairement, à mettre en œuvre une démarche de démocratie participative, avec comme objectif de remplacer la constitution canadienne, par une constitution élaborée par nous.

Réaliser cela est possible maintenant. Il suffit de le vouloir. Dans un tel contexte, la conjoncture pourrait changer, car la perspective d’un débat démocratique et d’une solution que nous construisons ensemble remobiliserait les meilleures énergies, referait l’unité, éliminerait le cynisme et le défaitisme qui minent notre solidarité nationale.

Donnons-nous cette chance de changer pour le vrai, de nous donner un avenir comme nation !