Reportage de Jean-Benoit Bédard
On a beaucoup parlé de la Catalogne dans les derniers mois. Et avec raison. Les péripéties qui auront mené à la consultation symbolique du 9 novembre dernier ont eu des échos un peu partout dans le monde et bien sûr chez nous. Parallèlement à la Catalogne, il y a un autre peuple en Espagne qui poursuit lui aussi sa route, de façon non moins discrète, vers son indépendance. Bref coup d’œil sur le Pays basque.
C’est au terme d’un voyage de huit heures en train que je suis finalement débarqué à Bilbao. C’est le cœur gros que j’ai dû quitter Barcelone, mais Bilbao aura tôt fait de me consoler! À l’instar de plusieurs autres villes européennes, les splendeurs architecturales de la ville basque ne sont pas sans nous rappeler qu’à Montréal, la vision et l’audace de nos promoteurs immobiliers et de nos élus en matière d’architecture font piètre figure. Enfin bref, inutile de tourner le fer dans la plaie, passons au vif du sujet.
Car, s’il est une raison pour laquelle je me suis rendu au Pays basque, c’est non pas pour profiter des plages chaudes et réconfortantes de San Sebastián, mais bien pour rencontrer de jeunes indépendantistes. Et tout comme en Catalogne, cette quête fut relativement facile!
Les similitudes entre le Pays basque et la Catalogne sont par ailleurs assez nombreuses. Outre le fait d’avoir vu un regain de leur mouvement indépendantiste au cours des dernières années, de posséder une culture et une histoire qui soient distinctes du reste de l’Espagne, ces deux États auront également fait les frais de la dictature de Franco pendant près de quatre décennies, ce qui, doit-on le mentionner, n’est pas sans avoir créé une certaine solidarité entre les deux peuples.
Toutefois, le cas du Pays basque est plus complexe que celui de la Catalogne. Le grand rêve des indépendantistes basques serait de fonder un pays avec les délimitations historiques du Pays basque, délimitations qui recoupent, entre autres, une partie du sud-ouest de la France.
En effet, le Pays basque traditionnel, c’est sept provinces réparties en trois entités politiques distinctes : le Labourd, la Soule, la Basse-Navarre (Pays basque français), la Biscaye, l’Alava et le Guipuscoa (Communauté autonome du Pays basque ou Euskadi) et finalement la Navarre. En somme, c’est un peu plus de trois millions de personnes réparties sur un territoire 80 fois plus petit que le Québec.
Or, si l’indépendance semble la voie privilégiée pour un nombre croissant de Basques espagnols, il serait faux d’en dire autant des Basques français. Il faut dire que la culture basque du côté français n’a pas résisté à l’usure du temps et au diktat des dirigeants politiques avec le même acharnement que du côté espagnol. La loi de 1902 interdisant l’usage de langue régionale et de patois en France y aura certes été pour beaucoup.
De plus, en ces temps d’incertitude économique, quitter l’Espagne, pays durement touché par la crise et par les récessions successives, est sans doute moins risqué économiquement que de quitter la France. Enfin, c’est ma perception des choses!
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Alors, verra-t-on un jour les trois entités politiques se réunir au sein d’un même État indépendant? Du moins, les Basques que j’ai rencontrés y croient. Alex, jeune militant indépendantiste, me disait que le plan de match le plus réaliste à l’heure actuelle serait l’indépendance de l’Euskadi (Pays basque espagnol), lequel tenterait par la suite, une fois indépendant, de convaincre ses confrères et consœurs de la Navarre et du côté français de les rejoindre au sein de cette nouvelle entité basque. D’une certaine façon, on espère que les vapes de la liberté seraient si douces à humer que d’aucuns ne pourraient y renoncer.
Beau projet en perspective, mais encore faut-il que les indépendantistes basques prennent le pouvoir. Car historiquement, le principal obstacle au mouvement indépendantiste basque a été d’exister politiquement. En effet, chaque fois que des partis politiques ont tenté de se former, le gouvernement espagnol les a déclarés illégaux sous prétexte qu’ils auraient entretenu des liens avec le groupe armée ETA (Euskadi Ta Askatasuna, ce qui veut dire le Pays basque et sa liberté).
Depuis trois ans toutefois, l’ETA, qui est tenu pour responsable de la mort de 829 personnes en 50 ans de lutte armée pour l’indépendance du Pays basque, a renoncé définitivement à la violence. En effet, il est désormais acquis chez une majorité de Basques que la lutte à l’indépendance devra passer par des moyens démocratiques. Conséquemment, cette renonciation à la violence a amené 6 juges sur 11 du Tribunal constitutionnel espagnol à se prononcer, en 2012, sur la légalisation d’un de ces partis, le Sortu.
C’est d’ailleurs dans ce vent de légalisation qu’aux dernières élections, la coalition Euskal Herria Bildu (qu’on pourrait traduire par Réunir le Pays basque) a réussi à faire élire 21 députés indépendantistes sur 75 au Parlement basque. Pas mal pour un nouveau parti!
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Certes, l’indépendance du Pays basque n’est pas pour demain. Alex me disait qu’il s’agissait d’un objectif à moyen ou long terme, échéance que l’indépendance (prochaine?) de la Catalogne pourrait toutefois accélérer. C’est donc avec beaucoup d’intérêt (et de déception) que les indépendantistes basques ont suivi les processus menant au référendum en Écosse et à la consultation populaire en Catalogne.
Or, d’ici à ce que survienne le Grand soir, les Basques en sont à préparer le terrain. En effet, bien que Bilbao ne soit pas la ville où l’appui à l’indépendance soit le plus marqué, il n’en demeure pas moins qu’il est plutôt difficile d’ignorer la présence d’un fort mouvement prônant l’indépendance de la région.
En ce sens, Adriano, un Basque habitant aujourd’hui au Québec, m’a offert une visite privilégiée du Bilbao indépendantiste. Au menu, soirée musique-poésie (avec en prime un cover en basque de Marianne de Leonard Cohen), bouffe et boissons locales et bien sûr, bar indépendantiste (le nom du bar était le Herriko taberna ce qui veut dire La taverne du peuple)!
Souvent présents de façon assez discrète, les bars indépendantistes basques ont ceci de particulier qu’ils s’affichent ouvertement en faveur de l’indépendance, mais aussi en faveur de l’obtention d’un statut de prisonnier politique pour les anciens membres de l’ETA aujourd’hui derrière les barreaux, statut qui, on l’aura deviné, est refusé par Madrid. Adriano m’expliquait que les indépendantistes basques luttent depuis longtemps pour que Madrid reconnaisse la nature politique du conflit ce qui permettrait aux prisonniers, entre autres choses, d’être incarcérés plus près de leur famille.
En ce sens, afin de démontrer leur soutien aux Basques emprisonnés, les murs des bars sont couverts de « photos » de prisonniers politiques basques. En fait, je dis photos, mais je devrais plutôt dire dessins. Jadis, les bars affichaient les photos des militants indépendantistes incarcérés, leur date de naissance ainsi que leurs adresses en prison de façon à ce que les sympathisants puissent leur écrire des messages d’encouragement et de soutien. Toutefois, au cours des années 2000, le gouvernement espagnol a interdit cette pratique et a fermé de nombreux bars « indépendantistes » pour cette raison. Or, de façon à contourner la « loi », on retrouve maintenant des dessins représentant le visage des prisonniers, manœuvre que tente d’interdire, encore une fois, le gouvernement espagnol.
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En somme, si au Canada les fédéralistes tentent d’anéantir le mouvement indépendantiste québécois à coups de drapeaux canadiens, de Minute du patrimoine et de lois sur la clarté qui n’a de clair que le nom, on est dans un tout autre registre en Espagne. Mes trois semaines en Catalogne et au Pays basque m’auront permis de constater que la démocratie est déficiente à bien des égards au pays de Dali et de Picasso. En fait, l’État espagnol aime se dire démocratique, et l’est sans doute à bien des égards, mais ce, seulement lorsque le peuple est d’accord avec ses dirigeants.
Dans le cas contraire, la répression et la négation deviennent les réponses aux contestations. J’ignore combien de temps encore le gouvernement espagnol pourra refuser le droit d’exister à des peuples qui, de façon légitime et démocratique, veulent se prononcer sur leur destin collectif. Le cas de la Catalogne sera en ce sens très intéressant à suivre dans les prochains mois. Le président catalan Artur Mas a ouvert les négociations dernièrement avec les autres partis indépendantistes dans le but de déclencher des élections plébiscitaires dans la prochaine année. 2015 pourra donc nous donner certaines réponses.
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Pour ma part, c’est la fin de mon périple dans les régions indépendantistes d’Europe. Je n’aurai donc pas assisté à ce que plusieurs entrevoyaient il y a encore quelques mois, c’est-à-dire l’Automne des peuples, ce « grand » mouvement de libération nationale qui, porté par les espoirs de plusieurs, devait se solder par l’indépendance de l’Écosse et de la Catalogne. L’année 2014 se terminera donc comme elle a commencé, c’est-à-dire avec 193 pays.
Je terminerai donc avec les remerciements d’usage. D’abord, un gros merci à mes amies Julie Veillet et Karine Noel, la première ayant accepté bénévolement de corriger, critiquer et commenter mes textes, et la deuxième m’ayant obtenu une commandite pour ce voyage, commandite qui m’aura ainsi permis de m’enivrer davantage en vin rouge et en whisky.
Ensuite, je remercie Urbania de m’avoir offert cette plateforme. J’avais prévu depuis longtemps tenir un blogue pendant ce voyage, mais Urbania m’a permis d’étendre mon lectorat au-delà de mes amis et de mes connaissances!
Enfin, je tiens sincèrement à remercier tous ceux et celles qui, de près ou de loin, ont bien voulu discuter indépendance avec moi et qui m’ont transmis l’attachement à leur région. Pour plusieurs, le combat pour l’indépendance continuera en 2015 avec une fougue similaire à celle qui les a animée dans les dernières années. Pour d’autres, comme les Écossais, l’heure est maintenant au bilan et la « redéfinition » d’un plan pour la suite des choses.
Un ancien premier ministre québécois disait un jour qu’il vient un temps où, pour un peuple, le courage et l’audace tranquilles deviennent, aux moments clés de son existence, la seule forme de prudence convenable. Si pour l’actuel gouvernement québécois ce courage et cet audace tranquille semblent se traduire par des compressions et des mesures d’austérité, lesquelles sont érigées hypocritement en projet de société, les derniers mois m’auront au moins permis de constater qu’il existe encore des peuples qui savent rêver.