Dans son petit livre « État d’âme, états de langues » la linguiste québécoise Marty Laforest écrivait à la dixième page « c’est curieux, alors qu’il faut s’y connaitre pour parler de physique ou d’économie sur la place publique, en matière de langue, le seul fait de l’utiliser chaque jour semble autoriser tout un chacun à en dire n’importe quoi sans jamais que soit mise en question la validité de ses arguments (…) il n’en demeure pas moins que la langue est aussi un objet d’études au même titre que les autres. »
Marc Cassivi n’est ni un linguiste, ni un sociologue, ni un didacticien des langues. Il se jette quand même dans les eaux linguistiques et sociolinguistiques en publiant ces jours-ci un petit livre au sujet du « franglais », Mauvaise langue, qui est finalement un livre pour dénoncer la fragilité épidermique des Québécois lorsqu’on parle d’anglais, de français ou d’un peu des deux à la fois.
En lisant son livre, je me suis demandé en quoi son plaidoyer « pro-franglais » apportait de l’eau au moulin, en quoi il apportait du nouveau à cette petite tempête médiatique sur ledit franglais qui a duré environ dix jours dans les médias, il y a un an et demi.
Je me suis demandé si Cassivi n’était pas un peu en retard dans les nouvelles, mais bon, il écrit noir sur blanc que c’est un « débat actuel. »
Soit. Il faut croire qu’il considérait nécessaire d’en ajouter une couche.
Selon lui, les chevaliers de l’apocalypse linguistique auraient peur que le Québec devienne franglais. Ah bon ! Je ne sais pas pour lui, mais j’ai l’impression que ce n’est pas du franglais que les gens ont peur, mais plutôt d’un déclin tranquille de l’identité québécoise à Montréal.
Le débat ne concerne pas l’avenir du franglais, mais plutôt l’avenir d’un Montréal – et d’un Québec — francophone. Le franglais honnêtement ne m’empêche pas de dormir – et je crois que c’est le cas de la majorité des gens qui défendent le français. —
Défendre le français, ce n’est pas de l’écrire sans jamais faire la moindre coquille, ni même de le parler parfaitement, c’est d’en être fier, de l’utiliser, de le revendiquer, de le partager avec les nouveaux Québécois.
Vraisemblablement, les jeunes cools qui utilisent le franglais ne font rien de nouveau puisque Cassivi et son frère jumeau l’utilisent depuis les années 1980. Finalement, c’est peut-être même un peu dépassé.
Marc Cassivi semble vraiment croire que le franglais cause de l’urticaire à plusieurs alors qu’il n’est qu’un symptôme d’une crainte plus grande et bien plus légitime. Ce qui inquiète dans l’avenir du français, ce n’est pas d’entendre une jeune fille dire « c’est hot », mais plutôt de constater dans l’étude de Ferretti, publiée dans les dernières semaines, que 50 % des nouveaux arrivants qui ne parlaient pas français lors de leur arrivée à Montréal ne l’apprendront jamais, que selon le recensement de 2011, plus de 200 000 immigrants, soit 20 % de l’ensemble des immigrants au Québec n’avaient pas cru bon l’apprendre.
Ça, c’est important. Ce n’est pas du franglais, c’est de la sociolinguistique : plusieurs immigrants n’apprennent pas le français puisque plusieurs considèrent qu’il ne leur sert à rien ici, à Montréal.
Ça, Marc Cassivi n’en parle pas.
Défendre le français ou en faire la promotion au Québec n’a rien à voir avec le purisme. Loin de moi le fantasme d’entendre les jeunes échanger dans un lexique digne du français poussiéreux de l’Académie française. Je ne veux pas non plus que le français « soit une prison » comme l’écrit Cassivi. Nous avons envie que le français soit un dénominateur commun, un outil de communication, de réflexions, de découvertes et d’échanges.
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Un peu plus loin dans son livre, Cassivi nargue les « zélotes qui dénoncent les dangers du bilinguisme individuel. »
Honnêtement, je n’ai jamais lu ou entendu quelqu’un – du moins, dans les médias — affirmer de telles choses. C’est toujours le bilinguisme institutionnel qui est dénoncé, avec raison.
Personne ne s’oppose au bilinguisme individuel. D’ailleurs, je crois que les gens qui défendent le français au Québec – dont je suis — sont un peu « tannés » d’avoir à se justifier en répétant continuellement que le bilinguisme individuel est une richesse. Et pourquoi diable s’en limiter ? Pourquoi ne pas viser l’apprentissage d’une troisième langue, ou du moins d’une langue de notre choix ?
Cassivi ne semble n’en avoir que pour l’anglais – et semble même penser que tout un chacun le parle dans le monde… je lui suggère quelques voyages en Asie, au Maghreb ou en Amérique latine et centrale, afin de constater que c’est loin d’être le cas… De plus, que pense Cassivi du portugais ou de l’espagnol, langues en émergence très peu enseignées dans nos écoles ?
Se limiter chaque fois à l’anglais est selon moi une tare, et faire passer les défenseurs du français au Québec pour des zigotos comme Cassivi le fait dans son livre l’est aussi.
Photo Hélène Bérubée / JdeM