Indépendance : des limites du légalisme

 

[Ce texte rassemble des notes d’un discours prononcé par Maxime Laporte, Président général de la Société Saint-Jean-Baptiste et coordonnateur du réseau Cap sur l’indépendance, ce 19 novembre dernier lors du rassemblement en soutien au peuple catalan au cégep Maisonneuve à Montréal.]

 

Ces dernières semaines, le peuple catalan s’est dit oui.

 

Il s’est dit oui, mais tous les États du monde, hélas, lui ont dit non…

 

Tous les États du monde, sans exception ou presque, ont rejeté la nouvelle république catalane. De la pure violence « diplomatique » !

 

Aux principes de liberté et de démocratie, ils ont opposé la légalité espagnole ; ils ont préféré l’ordre établi ; jusqu’à se faire les complices de la répression immorale du régime de Madrid ! – La complicité, c’est un crime, n’est-ce pas ? Ici, au Québec, je ne crois pas me tromper en affirmant que nous préférons de loin la solidarité des peuples en lutte pour leur liberté, à la complicité et à la complaisance des États qui s’entendent si bien lorsqu’il s’agit d’écraser les minorités nationales qu’ils abritent l’un et l’autre…

Au fait, tous ces États, qui ont érigé en dogme l’idéologie légaliste ; tous ces États auraient-ils donc oublié ce à quoi ils doivent leur existence, – sachant qu’ils sont tous nés, pour la plupart, en-dehors de toute légalité ?

 

L’indépendance des États-Unis d’Amérique n’était pas légale !

 

La Révolution française n’était pas légale !

 

Non plus, la Guerre de succession d’Espagne n’était certes pas légale a priori

 

Tous ces États, si l’on suit la perfidie de cette logique légaliste qui, paraît-il, n’aurait pas de limite ; tous ces États, au fond, sont eux-mêmes hors-la-loi !

S’ils étaient cohérents avec eux-mêmes, Trump demanderait sans attendre le rattachement des États-Unis à l’Empire britannique ; Macron demanderait la dissolution de la République et le retour immédiat à la monarchie ; et le Roi d’Espagne aurait déjà abdiqué en faveur des anciennes dynasties !

Pourtant, les grands personnages fondateurs de ces États, qui sont enseignés chaque jour à l’école ; ils avaient bien compris, eux, que la légalité, cette sacro-sainte légalité n’est, le plus souvent, que l’instrument des puissants. Par définition, le droit se trouve en aval du politique, et le politique en amont du droit. Le droit, la constitution n’est rien d’autre que l’organisation du pouvoir d’État, de l’autorité politique, – du « monopole de la violence », diraient certains, dont l’État se révèle l’incarnation par excellence. Le droit n’est que le produit du politique.

Or, au-delà des excès du droit et de la politique des États, ce sont les principes naturels de légitimité et de démocratie qui doivent gouverner un peuple. La Déclaration universelle des droits de l’homme, à son paragraphe 21(3), édicte que c’est la volonté du peuple qui est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics, et rien d’autre…

Et lorsque des nécessités extraordinaires le requièrent, lorsque le fondement de l’autorité n’est plus la légitimité démocratique, alors des principes autres que la seule primauté du droit doivent s’imposer.

Il faut voir comment les fondateurs des grands États qui, aujourd’hui, rejettent la Catalogne libre, ont jadis su légitimer a posteriori leurs actes fondateurs illégaux et révolutionnaires. Voici deux exemples.

 

Extrait de la Déclaration d’indépendance des États-Unis d’Amérique (1776) :

« Lorsque, dans le cours des événements humains, il devient nécessaire pour un peuple de dissoudre les liens politiques qui l’unissent à un autre et de prendre parmi les puissances de la Terre, la place séparée et égale à laquelle les lois de la nature et du Dieu de la nature lui donnent droit, le respect dû à l’opinion de l’Humanité l’oblige à déclarer les causes qui le déterminent à la séparation. »

Extrait de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1793) :

« Art. 35    Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. »

 

Aujourd’hui, face à ce qui se passe en Catalogne, la communauté internationale doit dépasser le légalisme, comme elle a su le faire par le passé. À cet égard, il y a sans doute lieu de se rappeler ces paroles de Martin Luther King, tranchantes de vérité : « Tout ce qu’a réalisé Adolf Hitler en son temps était « légal ». » Autrement dit, « légal » n’égale pas « acceptable », loin de là. Or, le comportement de l’Espagne, quoique légal, n’est pas acceptable. Tout comme il ne l’était pas au temps de la colonisation de l’Amérique. Tout comme il ne l’était pas au temps de Franco. Tout comme il ne l’était pas à l’égard du peuple basque, dont les militants indépendantistes sont torturés encore de nos jours !

Ces jours-ci, chaque État aurait intérêt à revisiter tout d’abord ses grands moments fondateurs, relire sa propre histoire… En particulier, que la République française, par exemple, appuie aussi aveuglément le Royaume d’Espagne, dans les circonstances cela me choque profondément ! Quelque part au milieu de tous ces petits politiciens qui nous dirigent, – et l’on voit bien que c’est vers l’abîme qu’ils nous dirigent, y a-t-il encore de la grandeur en ce monde ?

En tout cas, il faut éviter à tout prix que se répètent les erreurs du passé. On ne saurait laisser le conflit catalan dégénérer davantage… Voilà ce qui m’inquiète, par-dessus tout. La paix, la démocratie et la liberté exigent que la personnalité internationale de la Catalogne soit reconnue comme il se doit, et sans attendre ! La nécessaire adéquation des principes juridiques de la primauté du droit et de la démocratie commandent la tenue, forcée s’il le faut, d’une négociation de bonne foi, en bonne et due forme, entre Madrid et Barcelone. En revanche, les dirigeants catalans devront faire leur devoir et s’assurer qu’ils sont en mesure d’opérer une transition effective et pacifique vers le statut d’État de facto, sans quoi c’est perdu d’avance. C’est que l’idéalisme a ses limites, faut-il le préciser ; et il faut avoir les moyens de ses ambitions.

Quant à nous, ici au Québec, je dis : continuons le combat ! Malgré toutes les embûches, nous savons que l’indépendantisme, en démocratie, est un humanisme. Comme l’affirmait le président de l’Islande il n’y a pas si longtemps, tout juste à côté d’un Philippe Couillard médusé, « l’indépendance en soi n’est jamais négative ». Car, l’aspiration des peuples à l’autodétermination est universelle. Elle est porteuse d’espoir et d’avancement pour le genre humain.

Contre tous les bourreaux de démocratie, tous les assimilateurs de cultures, tous les nationalismes d’oppression et tous les colonialismes qui, depuis des temps immémoriaux, ont semé guerre et dépossession, le combat des peuples et des individus pour la liberté, l’affranchissement et l’émancipation se révèle un combat profondément noble ; un combat pour la paix ; un combat pour la justice ; un combat pour le monde.

Visca Catalunya lliure !

Vive le Québec libre !

 

Signature Maxime Laporte

Maxime Laporte
Coordonateur du réseau Cap sur l’indépendance