Jubilé royal
POUR QUE LES QUÉBÉCOIS(ES) SOIENT REINES ET ROIS EN LEUR PAYS !
Par Maxime Laporte, LL. B. (Montréal, le 30 mai 2012)
Finissant de l’École du Barreau et étudiant à la maîtrise en science politique
Coordonnateur du réseau Cap sur l’indépendance
Au moment où la jeunesse du Québec se soulève à la faveur d’un conflit étudiant qui a su canaliser la colère du Peuple et faire jaillir du volcan tranquille qui nous habitait, la lave incandescente d’un idéalisme collectif en réveil. Au moment où, massivement, on prend la rue pour faire entendre et ultimement pour imposer notre volonté démocratique, volonté qu’on voudrait reine en ce pays. Hé bien, même en ces temps de renouveau, même en ce printemps de notre histoire, il se trouve encore des gens pour s’émoustiller devant un portrait de la Reine…
Les célébrations du Jubilé de diamant de la reine Elizabeth II atteindront leur apothéose au cours des prochains jours en Grande-Bretagne, alors qu’on se prépare à un grand week-end d’activités mondaines qui aura lieu du 2 au 5 juin. Certes, cela aura des échos au Canada, où l’on est encore plus monarchistes que les britanniques eux-mêmes, à l’exception notable du Québec, qui le 21 mai dernier, a nettement préféré célébrer la mémoire de nos glorieux Patriotes plutôt que la Fête de la Reine Victoria, dont le règne fut d’ailleurs un cauchemar pour notre nation.
Le vrai problème n’est pas la personne de la Reine elle-même, mais plutôt le système politique dans lequel on est forcé de vivre, et qui s’appelle la monarchie constitutionnelle canadienne. C’est surtout de ce problème dont il sera question dans cette capsule. Mais plus encore, le véritable problème pour les Québécois, c’est de se voir interdire de vivre dans un pays libre et qui leur ressemble. Et surtout, d’être contraints de vivre sous l’autorité d’une constitution adoptée sans référendum par un gouvernement, et qui plus est, par un gouvernement qui se trouve à être celui d’une autre nation, la nation canadienne-anglaise, et tout cela en violation des intérêts supérieurs et de la volonté souveraine du Peuple québécois. Or, compte tenu de l’effervescence étudiante et populaire à laquelle on assiste ces derniers mois, j’ai le sentiment que le temps est venu pour les Québécois de parachever leur révolution tranquille à la lumière des principes du républicanisme que portaient déjà les Patriotes dans les années 1830. Pour cela, il nous faudra adopter notre propre constitution ; une constitution qui émane non pas d’un gouvernement, mais de notre volonté souveraine et démocratique par un processus qui soit le plus direct possible. Cela commande forcément l’indépendance du Peuple québécois, puisqu’il n’y a pas de véritable république sans indépendance, et qu’il n’y a pas de véritable indépendance sans république.
La monarchie n’est pas qu’un symbole au Canada, mais une véritable culture politique qui a su traverser toute l’histoire de ce pays et de ses institutions. Les pères fondateurs du Canada étaient des loyalistes convaincus, admirateurs du système anglais et héritiers d’une idéologie de seigneurs et de conquérants. Ceux-ci se disaient même fièrement et ouvertement contre la démocratie et répugnaient à l’idée que le Canada puisse être autre chose qu’un dominion néo-monarchique et néo-britannique.
Et ce ne sont pas que les politiciens canadiens-anglais qui adhéraient à ce point de vue, comme en témoignent les propos révélateurs de Georges-Étienne Cartier en 1864 : « Nous travaillons à notre tour à fonder ici une grande confédération […] mais notre objet n’est point de le faire par la création d’institutions démocratiques; non, c’est plutôt d’aider l’élément monarchique à prendre parmi nous de plus profondes racines. » Bref, la Confédération a vu le jour dans la continuité du régime qui prévalait jusque-là, lequel fut imposé et maintenu par la force des armes, faut-il le rappeler. Elle consacre la domination du Lion anglais, de l’Empire et de la bourgeoisie coloniale et industrielle d’Amérique du Nord britannique.
Dans cette vision des choses, propre à ceux qui ont fondé les institutions qui nous régissent encore aujourd’hui, le citoyen canadien n’a pas les attributs d’un citoyen au sens vrai du terme, mais ceux d’un simple sujet.
Une telle chose comporte évidemment son lot de drames additionnels pour nous, Québécois, qui subissons encore plus les conséquences de cet état de fait auquel nous n’avons jamais consenti, contrairement à la population loyaliste et orangiste ayant peuplé le Canada, terre de nos aïeuls et de nos alliés amérindiens. Car, en réalité, le statut du sujet québécois est encore moindre que celui d’un sujet « normal » de sa Majesté. En effet, ce régime, en nous annexant, en nous minorisant, pour finalement subordonner en permanence notre liberté à celle de la majorité anglophone, nous interdit d’être considérés comme les égaux des « vrais » sujets de sa Majesté, c’est-à-dire les sujets canadian, sous cette Couronne chimérique qui sert de masque à une élite gouvernante et une oligarchie postcoloniale, elles-mêmes radicalement canadian. Ainsi, le Canada, dans toute sa canadianicité et sa néobritannicité, a fait de nous… des sujets de sujets; aussi bien dire des sous-sujets, en ce royaume qui bien que grand comme un continent, ne nous ressemble en rien.
Mais si l’on approfondit la réflexion, on s’aperçoit que les récentes visites princières, la revalorisation des vieux symboles royaux par Harper, et maintenant le Jubilé ne visent pas tant à célébrer la Reine ou la famille Windsor elle-même qu’à glorifier le régime qui, tout en nous réduisant au statut de sous-sujets, confère au premier ministre fédéral et à son entourage leurs enviables privilèges politiques. Toutes ces campagnes de propagande, qui capitalisent sur notre indifférence et sur notre immobilisme, ont pour seul objet de favoriser la conservation de ce régime en lui fabriquant à coups de millions de dollars, une image sympathique censée le légitimer. La royauté étant une question identitaire enracinée dans les récits féériques et artificiels de ce pays, l’occasion est belle pour renforcer l’unité canadienne, laquelle se moque bien, comme toujours, de la différence québécoise, en se moquant aussi de nos douleurs présentes et passées ainsi que de notre vieux fond républicain, par trop inoffensif pour ralentir nos dirigeants dans leurs ardeurs monarchistes…
Comme l’écrivait le constitutionnaliste anglais Walter Bagehot en 1867, le motif derrière l’instauration d’une monarchie constitutionnelle consiste essentiellement à mystifier le peuple en lui injectant l’idée, le fantasme qu’il doit sa gouverne à un souverain bienveillant, à une famille dynastique prétendument admirable ou à quelque charmante princesse, alors qu’en réalité le pouvoir est exercé, par le biais de l’appareil gouvernemental, par une clique restreinte d’oligarques ou d’aristocrates bien attachés à leurs intérêts. Encore de nos jours, cette petite clique rassemble des gens puissants issus notamment du monde de la finance, du pétrole, des médias, voire du commerce des armes à feu, qui parviennent à exercer une influence majeure sur l’ordre du jour du gouvernement.
Pour quiconque souhaite prendre les commandes du Canada, conquérir le bureau du premier ministre constitue toujours un objectif prioritaire, car c’est là, et non au Buckingham Palace ni à Rideau Hall, que nichent réellement la plupart des pouvoirs à caractère royal hérités des conventions constitutionnelles ou édictés par le British North America Act. En effet, le premier ministre fédéral, en tant que leader du parti gouvernemental et chef de facto de l’État, jouit de l’autorité d’un véritable monarque élu. Parmi ses prérogatives, on compte le pouvoir de nommer le gouverneur-général, les lieutenants-gouverneurs des provinces, les membres de son cabinet ministériel, les juges de toutes les cours supérieures du Canada, les généraux de l’armée ainsi que les dirigeants de toutes les sociétés de la Couronne (comme le président de Radio- Canada)… Il détient aussi la capacité de désigner les sénateurs, les ambassadeurs du Canada à l’étranger, en plus de 3100 postes dans l’administration. Mentionnons également qu’il contrôle depuis son bureau, l’essentiel des communications du gouvernement.
Le premier ministre canadien possède un très vaste droit de regard qui s’étend à l’ensemble du champ d’action de l’État central. À cet égard, rappelons que le palier fédéral se voit confier les plus importantes compétences législatives et exécutives prévues au titre du partage des pouvoirs constitutionnels, bénéficiant au surplus des compétences résiduaires. Quant aux pouvoirs extraordinaires, il y a le pouvoir de réserve et de désaveu, hérité de l’ère coloniale et typiquement monarchiste, le pouvoir de s’arroger certaines matières par le moyen d’une déclaration à l’effet qu’elles seraient « d’intérêt national canadien » et le droit d’intervention en ce qui concerne les droits à l’instruction des minorités linguistiques. N’oublions pas le pouvoir fédéral de dépenser, chose non négligeable dans le contexte où Ottawa n’a jamais été aussi centralisateur, ainsi que le pouvoir de réformer unilatéralement la composition du Sénat et de la Chambre des Communes…
C’est la nature foncièrement monarchique de ce système qui, au niveau provincial, donne à Charest la possibilité de nous enfoncer dans la gorge, à coups de bâillons, ses politiques matraques et ses grands plans pour brader nos ressources; sans qu’aucun recours démocratique digne de ce nom ne puisse l’en arrêter. C’est la nature foncièrement monarchique de ce système qui, au niveau canadien cette fois, donne à Harper toute la marge de manœuvre pour nous enfoncer dans la gorge ses politiques militaristes, répressives, réactionnaires, anti-environnementalistes, lesquelles se révèlent profondément incompatibles avec les intérêts et consensus nationaux des Québécois, qui transfèrent chaque année au gouvernement canadien plus de 50 milliards de dollars en impôts. Au final, on ne devrait donc pas se surprendre de l’orgie d’éloges et de célébrations royales mises en scène par le premier ministre ces derniers mois, car à travers la figure du monarque, c’est Harper qui se célèbre lui-même, en célébrant par la même occasion la clique qui l’entoure ainsi qu’un nationalisme canadian qui se dévoile sous son vrai jour.
Cela dit, il est encore temps de nous ressaisir et de montrer au monde que nous, le peuple du Québec, existons par-delà notre sujétion forcée à ce régime. La république et l’indépendance ne sont qu’une question de temps.